Ils vont sortir d’une longue hibernation qui aura duré presque un an. Ce samedi, près de 1.500 reproductions de nains vont retrouver la lumière et coloniser pendant une semaine les 24 hectares des Jardins de Brocéliande, près de Rennes, qui a lieu depuis douze ans. « On ne les sort qu’une fois par an, ils sont rangés dans leur étable le reste de l’année », sourit Virginie Fur. Autoproclamée « maîtresse en chef des nains », la jardinière chérit ces petites créatures qui seraient apparues au XIXe siècle dans des jardins allemands, pour rendre hommage aux mineurs de la région.

Mais ne lui parlez surtout pas des nains de jardin standards qui trônent fièrement sur les pelouses, servant d’objets de déco au milieu des parterres de fleurs. « Je ne suis pas très fan en effet, c’est quand même ultra-kitsch ! », indique-t-elle. Son kif, c’est plutôt de relooker des nains bruts en terre cuite pour en faire des figurines qu’elle met en scène dans des décors. On retrouve dans cette joyeuse tribu les personnages de Game of Thrones, Star Wars ou Lucky Luke ou ceux de Fidel Castro et des guitaristes de ZZ Top. Après leurs performances remarquées lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, une mini Céline Dion et un mini rejoindront également le casting cette année.

Le mystérieux Front de libération des nains de jardin

Symboles de la beaufitude et du « kitsch pavillonnaire », titre d’un essai de Jean-Yves Jouannais paru en 1999, les gentils gnomes ont pourtant pris cher et continuent de dérouiller. Détestées, snobées ou moquées, comme leurs propriétaires, les créatures passent en effet pour le summum du mauvais goût. Et cela n’est la seule épreuve qu’ils ont traversée. Au milieu des années 1990, un collectif baptisé Front de libération des nains de jardin s’est même mis en tête de les kidnapper pour leur rendre la liberté. Même si ce FLNJ a rapidement déposé les armes, certains nostalgiques ou petits plaisantins font de temps en temps parler d’eux. En octobre dernier, une habitante de Maubeuge . Aux dernières nouvelles, ils sont toujours dans la nature.

Après un tel déchaînement contre eux, on aurait donc pu croire à la retraite des nains de jardin, que l’on aurait définitivement remisés à la cave telles des vieilleries. Mais tous les goûts, même les mauvais, sont dans la nature et faisant fi des moqueries, les nains continuent toujours de s’éclater dans les jardins. Il y en a certes un peu moins qu’à une époque où les zones pavillonnaires poussaient comme des champignons aux quatre coins du pays.

Un côté kitsch « complètement assumé »

A rebours de toutes , on continue donc de vendre ces statues humoristiques et grotesques dans les jardineries, chez les discounters ou sur des sites spécialisés. « On a deux types de clients : celui qui veut faire une blague à un collègue, un voisin ou un ami, mais surtout des passionnés qui en achètent des dizaines », témoigne Baptiste, . Parmi les meilleures ventes, le nain de jardin doigt d’honneur, popularisé par le film Projet X ; le nain de jardin ivre celui qui urine ou sur son trône ; ou le plus classique, avec sa pelle ou sa brouette.

La jeune entreprise d’e-commerce propose même des nains de jardin personnalisés à votre effigie ou à celle d’un de vos proches. L’Everest du kitsch. Mais qu’importe pour René Penet. « Chez tout passionné, on assume complètement ce côté-là et on le revendique même, assure ce Nordiste. Cela témoigne d’un certain rapport au monde, d’une certaine légèreté qui fait du bien dans ce quotidien de plus en plus anxiogène ».

Umpeau se rêve en capitale des nains de jardin

A l’automne 2022, ce collectionneur, aidés par des amis jardiniers de l’association qu’il préside, a ainsi créé un sanctuaire pour les gnomes en inaugurant une « maison du nain de jardin » à Libercourt, près de Lens. « On en exposait près de 1.000, de toutes formes et de toutes tailles avec même un nain de 4,70 mètres de haut », raconte-t-il fièrement. Plus vraiment un nain, donc. « Malheureusement, la commune nous a dit de quitter les lieux il y a quelques mois et on recherche depuis un nouveau local ».

A 300 kilomètres de là, une petite bourgade se passionne aussi pour les joyeux lutins. Non loin de Chartres, Umpeau et ses 409 âmes s’imagine ainsi en future capitale des nains de jardin. Une idée un peu barrée que l’on doit à Laurent Pradié, un habitant désireux de réveiller sa commune. Pas vraiment à la base branché nain de jardin, ce quadragénaire avoue même qu’il trouvait ça ringard comme beaucoup. « Pas beauf mais démodé et un peu moche », avoue-t-il.

« Un bon compagnon jovial et rassurant »

Le succès d’une fête consacrée aux lutins pour Noël sur sa commune lui fera finalement changer d’avis. Début juin, la bourgade s’est donc lancé le défi de battre les records du plus grand nombre de personnes déguisées en nains de jardin, du plus haut nain et de la plus grande collection. , mais l’essentiel était ailleurs.

« J’ai découvert plein de gens passionnés et des histoires très touchantes autour de ces nains de jardin, témoigne-t-il. Des personnes veuves m’ont ainsi raconté qu’elles parlaient à leur nain, devenu leur compagnon depuis le décès de leur moitié. Et puis mon regard a bien sûr changé sur l’objet. Je le vois maintenant comme quelqu’un de jovial, de souriant, de rassurant. Un peu comme un bon compagnon qu’il faut prendre sur le ton de l’humour ». Alors, convaincu d’en adopter un ?